INTRODUCTION
Non, les jeux sur écran, malgré leurs magnifiques effets spéciaux, n’ont pas tué les bons vieux jeux de société. Jeux de cartes, jeux de plateau, jeu de stratégie, jeux de lettres, jeux sérieux… Contrairement à ce qu’on aurait pu penser, les jeux de société résistent !
L’histoire du jeu est quelque chose de complexe à appréhender car, pendant 2500 ans, cela n’a intéressé personne. A vrai dire, pas sûr que ça intéresse grand monde encore aujourd’hui à part Gamenki et quelques égarés, mais l’envie est là de vous faire partager cette petite présentation. En France, à part le magnifique travail de Jean-Marie Lhôte (Histoire des Jeux de Société), pas grand-chose à se mettre sous la dent. Et encore, son travail est aujourd’hui probablement un peu daté et surtout n’aborde pas du tout la question du jeu contemporain.
Alors, pourquoi personne ne s’est intéressé à l’Histoire du Jeu ? Tout simplement parce que, depuis toujours, il est considéré comme futile, inutile, voire dangereux. Difficile dès lors, d’imaginer penseurs et chercheurs se lancer dans une étude détaillée. Il n’y a qu’à voir aujourd’hui encore, les difficultés rencontrées par tous les gens travaillant dans ce milieu pour faire valoir leurs compétences. Combien de ludothécaires ont entendu un jour « Ah bah, vous devez jouer toute la journée, il est cool votre job ? » Et encore, dans ces cas-là, on s’estime souvent heureux que notre interlocuteur sache ce qu’est un ludothécaire et qu’il ne croît pas avoir entendu « bibliothécaire ».
Ceci étant posé, pour bien appréhender et comprendre l’histoire du jeu, il faut avant tout différencier les 3 formes distinctes de jeu de règles que l’on retrouve aujourd’hui sur les étals.
En premier lieu, nous trouvons les jeux dits traditionnels. Ce sont tous les jeux dont nous ne connaissons pas l’auteur et dont il n’est pas évident de retrouver l’origine. Ce sont les jeux que tout le monde connaît, qui se transmettent oralement de génération en génération et dont on trouve pour certains, autant de variantes qu’il existe de régions. On retrouve dans cette catégorie toutes les stars (échecs, go, petits chevaux, awalé ou encore backgammon) mais aussi tous les jeux de cartes traditionnels (belote, tarot, bataille etc.).
Dans la seconde moitié du XIXe sont apparus les jeux d’édition. On entend par là, tous les jeux qui ne rentrent pas dans la première catégorie et qui sont donc des jeux originaux ou pensés comme tels avec une vraie volonté commerciale. Le XXe siècle a vu ces jeux se développer et apparaître les grands classiques ainsi que les jeux plus modernes tels que ceux que vous trouvez à Archi Chouette. On distingue aujourd’hui ces deux courants, à savoir les jeux de grande distribution (Risk, Monopoly, Uno etc.) et les jeux contemporains dit modernes. Cette distinction est d’ailleurs celle retenue par un chercheur australien dans une thèse récente (Stuart Woods, Eurogames : the design, culture and play of modern european board games). Les Anglo-Saxons ont même un terme particulièrement efficace et difficile à traduire pour définir ce jeu de société contemporain sous toutes ses formes (plateaux, figurines, jeu de rôle, cartes à collectionner etc.) : les « Hobby Games ».
Les tout premiers jeux de société : l’Egypte (1ère partie)
Foncièrement, s’intéresser aux jeux de société revient logiquement à s’intéresser à l’évolution de l’Humanité, à travers les différentes civilisations qui les ont pratiqués, et ce, tout au long de l’histoire. En effet, les jeux de société sont apparus en même temps que l’organisation des sociétés elles-mêmes. Leur expansion correspond donc au début de la sédentarisation, lorsque l’homme, confortablement installé dans ses habitations, exprima son imagination dans un but initialement ludique.
Il est cependant très difficile de dater l’apparition des premiers jeux. Jean-Marie Lhôte propose plusieurs pistes crédibles de réflexion. Selon lui, il est difficile d’imaginer le jeu avec objet avant le néolithique (-9000 à -3300), même si la domestication des animaux (qui auraient pu offrir un modèle à l’homme) ou l’apparition des premières collections dans les sépultures pourraient être des indices intéressants (le jeu et la collection sont des loisirs assez proches comme en témoignent les jeux à collectionner types cartes Pokémon). Cependant, l’apparition de l’écriture marque une limite commode et probablement déterminante car il semble difficile de concevoir des jeux élaborés avant l’apparition de l’écriture pour en fixer les règles, malgré la force des traditions orales.
Les premières traces d’un jeu de société sont celles, 2 600 ans avant notre ère, du « Jeu royal d’Ur », qui se compose d’une tablette, ancêtre du plateau, de petits dés tétraédriques et deux équipes de sept pions : les Noirs et les Blancs. Un des jeux les plus anciens de l’histoire est le jeu de Go. En effet, créé il y a plus de trois millénaires, c’est surtout l’un des rares à avoir survécu en étant toujours pratiqué, dans une grande majorité des pays asiatiques.
Il est connu par deux plateaux, découverts dans des tombes royales d’Ur par Leonard Woolley dans les années 1920. Ces plateaux sont datés d’environ 2600 av. J.-C., ce qui fait du jeu l’un des jeux les plus anciens connus à ce jour avec le senet égyptien. L’un de ces plateaux est exposé au British Museum, à Londres.
Auparavant les jeux existaient, bien entendu, (les animaux jouent…). C’est pourquoi on peut se demander s’il existe des origines. Par exemple, peut-on situer l’origine du jouet… ou même l’origine du hasard ? Nous ignorons les dates mais nous pouvons suivre des évolutions. Par exemple, nous pouvons imaginer des enfants de la préhistoire, jouer avec des cailloux ou des morceaux de bois. Et le hasard ? Impossible de dater, mais la question peut se poser ainsi : À quel moment de la préhistoire un homme, une femme, ont-ils lancé en l’air un coquillage ou un objet à deux faces distinctes et ont remarqué que de temps en temps l’objet en question retombait sur un côté ou sur un autre, mettons sur la face ronde ou creuse du coquillage. À quel moment une conscience s’est-elle manifestée pour se dire : « Si le coquillage tombe sur la face ronde, j’aurai de la chance ! » et ensuite, à quel moment deux individus ont parié : « Si cela tombe sur la face ronde, tu gagnes, et si c’est sur la face creuse, c’est moi qui gagne !… » Impossible de dater mais une prise de conscience universelle s’est manifestée là avec une puissance qui lui fait traverser les millénaires et donne le moteur des premiers jeux de société connus.
Ces premiers jeux apparaissent donc à la naissance de l’écriture, l’Égypte ayant conservé les objets correspondants : tabliers, pions, et “dés” le plus souvent sous forme de tablettes marquées d’un côté et jetées par les joueurs pour connaître le nombre de cases que peut parcourir le pion. Ce principe se retrouve dans le jeu de l’oie ou le backgammon. Ces jeux de parcours illustrent le cheminement de l’âme qui, lorsqu’elle parvient au but, est “justifiée”, c’est-à-dire, en quelque sorte, admise au paradis.
Avant de se détacher du sol, les premiers jeux « de plateau » étaient joués à même le sol en creusant des cases dans la terre, comme peuvent l’être encore aujourd’hui les mancalas (comme l’awalé) dans certaines parties du monde. On peut d’ailleurs supposer que les premiers jeux de semailles sont apparus dans les différents foyers d’invention de l’agriculture (Croissant Fertile, Amérique Centrale, Chine, Afrique Centrale). Pourtant, le premier véritable plateau dont on dispose est le Mehen dont nous possédons 3 exemplaires sensiblement de la même époque (l’un d’eux est au Louvre). Il a été retrouvé en Haute Egypte et renvoie aux années 3000 avant J-C. Malgré cette découverte, il est difficile d’affirmer qui de la Mésopotamie ou de l’Egypte fut le berceau de ces premiers jeux. La qualité de conservation en Egypte fait que des spécimens anciens ressurgissent en plus grand nombre. Et ce ne sont pas les évènements récents dans la région qui permettront à des trésors de ce genre de réapparaître malheureusement en Mésopotamie.
Pendant la durée considérable de deux millénaires et demi, le principe reste le même ; les dessins des parcours peuvent varier ou prendre des chemins différents et symétriques, il s’agit toujours, pour les joueurs, de courir, en quelque sorte, au coude à coude vers la récompense d’une vie après le terme de la mort, magnifique et sans souffrances.
Le jeu de Go, né en Chine il y a trois à quatre mille ans selon une légende courante, viendrait de l’esprit d’un empereur chinois voulant éduquer son fils à la gestion de l’empire. Cependant une autre légende, s’opposant à la précédente, stipule que l’idée du GO aurait murie, au XVIIe siècle avant Jésus-Christ, dans l’imagination un vassal soucieux de distraire son maître fait des origines du jeu de Go un mystère. Une chose est certaine : c’est le plus ancien jeu de stratégie de l’histoire, encore pratiqué. Au VIIIème siècle, ce jeu n’était généralement réservé qu’aux religieux et aux combattants, malgré la simplicité et l’accessibilité de ses règles. Pourtant, il fut développé au fil du temps, et s’est propagé au Japon tout entier. Les règles se modifiant continuellement, au XVIème siècle une grande différence entre celles appliquées au Japon et celles de la Chine était déjà visible. De par sa praticité, la tradition japonaise sera mise en valeur, et ainsi davantage utilisée. Ce qui favorisera son expansion. Aussi, dans le courant du XVIIème siècle, au Japon, fut fondée la première académie officielle de GO, et, de nos jours, les Japonais jouent au GO comme les Occidentaux jouent aux échecs ou au bridge… Le jeu de Go ne s’est développé que récemment aux États-Unis, et en Europe, grâce aux relations de certains voyageurs européens, où il n’existe que de rares amateurs.
Les anciens Égyptiens savaient comment varier leurs plaisirs et meubler leurs loisirs : par la promenade, la chasse et la pêche, mais aussi par « les jeux ».
Les Égyptiens appréciaient beaucoup les jeux de société. Dès les premières dynasties, les pièces du jeu étaient enterrées avec les morts. Les jeux de table de l’Égypte antique sont particulièrement bien illustrés par les découvertes archéologiques. Grâce à la croyance des anciens Égyptiens en une survie après la mort et au climat propice à la conservation d’objets en bois, de nombreux jeux de table ont été retrouvés dans les tombeaux.
Toutes les classes sociales jouaient aux mêmes jeux. Les personnalités royales tout comme le peuple jouaient de la même façon à un ensemble de jeux et de sports. Les jeux égyptiens étaient des jeux de parcours dans lesquels le hasard conditionne le déplacement des pièces. La présence de ces jeux de table parmi le mobilier funéraire et les fréquentes figurations sur les parois des tombes laisse penser que leur fonction dépassait largement leur rôle ludique premier. Le parcours labyrinthique des pions sur l’échiquier reproduisait symboliquement l’âme de l’au-delà : chaque case représentait une étape du voyage, le prix à gagner étant la vie éternelle. Jeux de hasard, de patience ou de réflexion, tous dénotent le goût des Égyptiens pour ce type de loisirs, que l’on s’accordait le soir, après le travail.
Les jeux de sociétés étaient l’une des distractions préférées des Égyptiens. On y jouait en couple ou entre amis dans les kiosques des jardins ou sur les toits des maisons. Les somptueux plateaux de jeu que nous ont légués les Égyptiens dans leur équipement funéraire, peuvent laisser penser qu’ils étaient réservés aux classes les plus aisées, mais rien n’indique que les gens plus pauvres ne jouaient pas avec un équipement plus modeste.