Comment faire éditer son Proto.
La plupart des auteurs qui mettent au point leur premier jeu ont franchi une étape fondamentale, souvent longue et intense, parfois difficile, mais toujours passionnante et gratifiante. Mais bosser d’arrache-pied à la conception de votre jeu, fabriquer un prototype, organiser des soirées entre parents et amis n’est guère satisfaisant. Certes, au début, on a juste l’envie de se faire plaisir et/ou de créer le jeu de ses rêves. On le sait : les joueurs aiment à créer leurs propres règles du jeu. C’est une forme d’expression créative,, voire artistique. Mais très vite, une personne ambitieuse souhaitera le faire éditer et distribuer. Quel intérêt en effet de ranger son prototype au fond de son armoire pour qu’il prenne la poussière.
Malheureusement, le chemin est encore long, car avant tout ceci, il va falloir trouver un éditeur et réussir à le convaincre. Et croyez-nous, ce n’est pas le plus simple ! Alors, autant mettre toutes les chances de votre côté en suivant ces quelques conseils.
Cet article a pour objectif de vous donner des conseils dans vos démarches pour convaincre un éditeur de produire et mettre en vente votre jeu. Il y a de plus en plus d’auteurs, de plus en plus de créativité… et de plus en plus d’éditeurs ! Bref, les conditions idéales pour tout jeune auteur pour se lancer et réaliser son rêve : faire éditer son jeu de société !
D’un autre côté, chaque année, la concurrence est rude parmi les dizaines de créateurs de jeux de société qui rêvent de présenter leurs prototypes. Le chemin à parcourir avant de retrouver son jeu en magasin est donc difficile et parfois semé d’obstacles. Les étapes à franchir pour espérer être édité sont longues. Il faut aussi éviter les erreurs de parcours les cruelles, souvent fatidiques.
Ces conseils proviennent du compte rendu d’une conférence intitulée Relation auteurs/éditeurs présentée au FIJ le 22 février 2019 par la Teeam Kaedama. Derrière ce nom, se cachent quatre personnes qui se connaissent bien : Antoine Bauza (auteur de 7 Wonders, Hanabi, Takenoko) ; Corentin Lebrat (auteur du Petit Poucet et la Forêt Mystérieuse, Diavolo, Takenoko Chibis) ; Ludovic Maublanc (Cyclades, Mister Jack, Cash’n’Guns) ; Théo Rivière (Shinobi Wat-ahh, Sea of Clouds, Sticky Chamelons) et anciennement chef de projet chez Iello, Yoka by Tsume et Repos Prod. Leur objectif ? Proposer un service d’expertise et de conseils aux éditeurs. Curieux d’en savoir plus sur leur démarche et leur façon de travailler, nous leur avons posé quelques questions…
Nous divisons cet article en deux grandes parties :
A – le milieu de l’édition
B – la sortie
A) L’édition
I) Ne vous lancez pas dans l’auto-édition !
Jamais, jamais, jamais ! Premièrement parce que vous y laisserez des plumes (c’est une réalité). Deuxièmement, parce que même si votre jeu est excellent, vous le coupez de son potentiel en imaginant le diffuser par vous-même. Pour résoudre ce problème, entretenez votre réseau de contacts auprès de professionnels de l’édition. Ils seront vos meilleurs atouts réussite ! Nous allons voir comment.
II) Quand présenter son proto à un éditeur ?
Le timing est évidemment fondamental. Vous devez d’abord :
- vous sentir prêt
- avoir l’envie et se sentir capable de convaincre
- avoir testé son jeu : Si vous vous apprêtez à envoyer un projet à un éditeur alors que vous n’avez pas encore réalisé de tests-joueurs, alors vous faites fausse route complètement ! Un bon prototype a déjà été testé une centaine de fois et avec des personnes différentes, dans l’idéal une trentaine pour cumuler un nombre d’avis suffisamment diversifié pour être représentatif. Pour résoudre ce problème, obligez-vous à le présenter en festival en prenant une table d’auteur.
Pour éviter les failles pendant une partie, les erreurs dans les règles, des mécanismes qui ne marchent qu’en théorie, il n’y a qu’un moyen : faire de très nombreuses parties. Donc, ne jamais négliger cette étape… Jouer, rejouer, encore jouer.
Faites participer amis et membre de la famille ; présentez votre jeu à des joueurs inconnus dans les associations et cafés ludiques, salons…. Rien de tel pour faire avancer votre prototype grâce à leurs commentaires.
Trouvez les défauts dans le jeu en essayant d’enfreindre les règles lorsque vous jouez tout seul. Essayez de voir s’il est possible de toujours gagner en suivant la même stratégie ou s’il y a des zones grises qui donnent un avantage injuste à l’un des joueurs.
La base pour un auteur de jeu est de savoir écouter les critiques. Pour éviter d’être offensé, essayez de vous détacher de votre jeu quand vous le présentez. Imaginez-vous en train de parler du jeu d’un ami. Cela vous aidera à absorber plus facilement les commentaires.
Quand vous commencerez à prendre du plaisir à jouer à votre jeu sans idée de l’améliorer, alors vous serez prêt.
- être allé au bout du design et surtout ne vous précipitez pas parce que vous pensez que le jeu fonctionne bien. Prenez le temps de la réflexion. C’est peut-être difficile, mais Antoine Bauza conseille de prendre du recul par rapport à son jeu en faisant une pause de quelques mois. Il assure que de nouvelles idées intéressantes émergeront inévitablement.
Le design est réellement plus important que ce que veulent bien vous dire les joueurs. C’est le secret d’une bonne immersion.
L’idée est de traiter les informations le plus rapidement possible. Il faudra alors user d’artifices visuels plutôt que tu texte (icône, pictogrammes, dessins).
Ceci dit, ne brûlez pas les étapes. Il ne s’agit pas encore de finaliser votre graphisme. L’illustration est réservée à la phase de l’édition.
- Connaître le marché : Ne pas hésiter à jouer sur les stands des éditeurs lors des salons et expositions pour connaître leur production et affiner sa recherche d’éditeurs. Par exemple, un point à ne pas négliger, les éditeurs n’aiment pas trop les jeux éducatifs. Ces jeux se vendent mal. Il est difficile également de trouver un éditeur pour un jeu abstrait.
III) Le début des démarches
- connaître son jeu : cette exigence peut sembler étrange, voir même carrément stupide. Et pourtant, Théo Rivière affirme que nombreux sont les auteurs qui hésitent, se trompent dans les explications des règles devant l’éditeur (notamment sur la mise en place du jeu – dans la mise en place du nombre de cartes, de jetons ou de pièces à distribuer aux joueurs, par exemple).
- Choisir sa liste d’éditeurs.
Voilà, les règles, la description du matériel sont prêts. Mais voilà à qui l’envoyer ? Car il serait inutile et un peu idiot d’envoyer notre jeu à l’aveugle à une liste trouvé sur le net, sans avoir pris le temps de se renseigner un minimum sur les autres jeux proposés par la maison d’édition contactée.
Ne tentez pas de contacter trop d’éditeurs ! C’est une erreur classique ! Vous avez envie de faire connaître vos idées et vous avez envie d’avoir des retours rapides. Vous allez donc avoir logiquement l’envie d’envoyer vos règles du jeu à un panel aussi large que possible d’éditeurs. Mais préférez un ciblage réfléchi à un spammage sans règles. Pour éviter cela, renseignez-vous précisément sur les dernières parutions de chaque éditeur et leurs lignes éditoriales. Votre jeu doit correspondre aux gammes ou à la ligne éditoriale de l’éditeur, sinon vous risquez deux écueils :des refus systématiques à répétition ou si vous avez la chance d’être accepté, vous risquez de ne plus reconnaître votre jeu car l’éditeur cherchera à le modifier pour qu’il entre justement dans ses gammes ou sa ligne éditoriale.
Chaque année, selon sa taille, un éditeur reçoit énormément de projets, plusieurs centaines pour certains. Il vaut donc mieux connaître ces derniers et maximiser ses chances, étudier leur ligne éditoriale afin de gagner du temps et de leur faciliter la tâche également car même si cela est « le travail de l’éditeur » (on l’entend souvent chez les auteurs), il n’est pas désagréable et inutile de lui mâcher le travail et faire en sorte que le jeu soit plus cohérent et mieux pensé.
- Travaillez l’ergonomie. Cette notion n’a pas été développée par la Team Keadama.
J’imagine qu’un jeu qui semble complet et cohérent sur son ensemble sera bien plus facilement prit au sérieux qu’un autre. Des règles écrites sans faute d’orthographe, écrite dans un bon français et surtout claires, concises et précises.
Je connais un adage ludique : « Un jeu est prêt, pas lorsqu’il n’y a plus rien à ajouter, mais plus rien à enlever ». Vous y gagnerez toujours en réduisant le superflu, aussi bien en matériel qu’en termes de plaisir de jeu et de fluidité.
Être ingénieux veut aussi dire trouver de bonnes idées originales, mais pas forcément tape-à-l’œil.
Le proto doit être propre ; le texte imprimé et non manuscrit… Les illustrations ne sont pas du tout nécessaires. Et surtout ne payez jamais quelqu’un pour illustrer votre jeu. Prenez plutôt les images sur internet.
Autrement dit, votre proto doit rester un proto même grossier (le jeu test) avec lequel vous pouvez jouer. Il n’est pas nécessaire de créer quelque chose de trop joli qui déchire « sa race ».
Ignorer les démarches inutiles, souvent énergétivores et économiquement onéreuses. Celles-ci n’ont pas été explicitées par la Team.
IV) Le contact avec les éditeurs
- envoyer un mail. Ne vous inquiétez pas : le milieu ludique est encore ouvert. Même si la réponse est longue, les éditeurs ont la bienséance de répondre. Bien sûr, il y a des périodes qui allongeront la durée de votre réponse comme celles des festivals où les éditeurs sont très pris dans diverses démarches professionnelles…
- Éviter les coups de téléphone et les visites impromptues. N’importunez pas les éditeurs en faisant le forcing !
- Envoyer une fiche descriptive concise avec les informations essentielles : durée du jeu, nombre de joueurs, type de jeu, accompagnés d’une photo faite sur smartphone et d’un speech narratif court.
Donc, évitez d’envoyer un mail avec les règles et une dizaine de JPEG volages, il n’y a rien de pire pour énerver votre interlocuteur. Si le jeu plaît à l’éditeur, il vous demandera les règles dans un deuxième temps.
Je vous conseille vivement d’utiliser le format PDF pour vos règles, ainsi pas de problème de comptabilité entre machines ou logiciels. N’oubliez pas d’indiquer les informations classiques sur votre jeu, matériel, but, etc. Il est aussi intéressant de mettre vos coordonnées pour vous joindre, en pied de page, en filigrane par exemple, car les règles sont souvent imprimées pour être lues, et une fois détachées de leur forme numérique, difficile de retrouver le propriétaire.
- Une fiche récapitulative de votre jeu est la bienvenue. Un exemple intéressant est le dessous de la boîte de King Domino.
- Faire une vidéo courte (3 min) mais ne présenter pas en détails les règles du jeu. Vous devez réaliser un simple aperçu de votre jeu. Si l’éditeur accroche, il vous demandera les règles au moment voulu. La réalisation de vidéo est un étape souvent négligée, pourtant très utile.
Une autre chose que vous pouvez proposer , c’est d’envoyer un lien vers la vidéo (postée sur youtube), qui présente le jeu, et une seconde qui explique les règles.
- Attention, à la première impression. Ne dépréciez pas une seule seconde votre jeu par une remarque négative, mais ne soyez pas non plus prétentieux en déclarant que vous avez le futur As d’or de l’année.
- Lorsque vous expliquez à votre interlocuteur, en l’occurrence votre éventuel éditeur, tournez le plateau, les tuiles ou les cartes face à lui.
V) D’autres moyens de contact
Si vous n’êtes pas à l’aise avec la messagerie informatique ou la réalisation vidéo, il existe d’autres moyens de contacter les éditeurs :
- Faire les festivals pour se faire un carnet d’adresse, se faire un réseau.. Les grands festivals du jeux sont le FIJ (Festival international du jeu à Cannes, le festival d’Essen et de Nuremberg ; il y a ensuite ceux de Toulouse, Paris…).
- Les concours (celui de Boulogne entre autre).
- Contacter les agents d’auteurs : il faut savoir qu’en France, il n’existe qu’une seule entreprise qui s’occupe de toutes les démarches à faire pour éditer un jeu. C’est Forgenext qui fait du très bon travail. Elle se rémunère à 30% environ sur la part de l’auteur si le jeu est édité ; si la société échoue à éditer votre jeu, vous ne payez évidemment rien ! La société assume seul la responsabilité financière
Pour contecter Forgenext : http://www.forgenext.fr/?page_id=45&lang=fr
B) la sortie : accompagner le jeu
- le contrat : il s’agit d’un document très variable selon les éditeurs, bien que le UEJ est produit un document type. Lorsqu’on parvient à dénicher un contrat avec un éditeur pour son premier jeu, en général, la joie est si grande qu’on aurait tendance à oublier certaines choses importantes. N’oubliez pas qu’un contrat a pour objectif de protéger en premier lieu l’éditeur.
D’abord, prévoir toujours une date limité de parution. Passé cette échéance, vous récupérerez ainsi vos droits sur le proto.
Ensuite, faire attention aux territoires d’exploitation, de diffusion de votre jeu édité. Ne validez pas la mention « Monde entier ».
Exiger les droits pour des pays étrangers où votre éditeur est absent. A part Asmodée, peu d’éditeurs peuvent se targuer d’être présents dans le monde.
Enfin, demander une avance entre 150 et 2 000 Euros non remboursable évidemment quelque soit l’issue du projet. C’est une manière de motiver l’éditeur qui ayant investi de l’argent sera plus enclin à finaliser le projet d’édition.
Ne vous bradez pas. Le pourcentage de votre rémunération sur les ventes globales doit tourner autour de 8%. La norme pour un premier contrat est plutôt 6%. En dessous de 5%, ne signez jamais car vous vous faites gruger. Vous pouvez aussi négocier un taux évolutif en fonction du nombre de vente. Ainsi, plus les ventes de votre jeu sera importante, plus votre pourcentage sera lui aussi important.
Pour finir, exiger quelques exemplaires d’auteurs à distribuer à votre entourage. Le nombre de boîtes est à définir entre les deux parties. Le standard est en général de 12 boîtes.
C) Et si vous passiez par un réseau non officiel ?
Vous pouvez court-circuiter les éditeurs officiels. Détaillons les possibilités :
Soit vous publiez le jeu sur une plateforme de financement participatif (Kickstarter, Ulule) ; Soit vous proposez le jeu en Print and Play (PNP).
Le financement participatif a fait naître des projets qui ne se seraient pas développer autrement en permettant une pléthore de matériel (par exemple, en consacrant une part financière plus importante à la fabrication de belles figurines). L’avantage du financement participatif est en effet de zapper une longue chaîne d’intermédiaires réduisant ainsi les coûts de production. Ce type de financement est donc devenu aujourd’hui incontournable !
Dans le dernier cas, il n’est pas prévu de gagner de l’argent. Le principe du PNP est de laisser à disposition de la communauté vos maquettes de votre jeu afin qu’elle puisse y jouer et le tester.
Petite anecdote au passage, les éditeurs n’apprécient pas trop de passer derrière une campagne de financement participatif, même si eux mêmes se servent parfois de ce dispositif. Par contre, le PNP peut être une première étape qui permet également de faire connaître votre jeu dans le milieu de l’édition.
D) La gestion de l’après-sortie
Vous devez absolument apprendre à gérer les critiques. N vous souciez pas d’une mauvaise critique d’un quidam quelconque sur Tric-Trac, par exemple.
Essayer de comprendre les volumes de vente. L’objectif de vente d’un petit éditeur ne sera pas celui d’un grosse boîte éditrice.
P.S.: vous pouvez suivre un exemple du processus d’édition d’un jeu de société sur le site pépites ludiques à l’adresse: http://jeuxyannick.over-blog.com/article-du-prototype-au-jeu-de-societe-edite-110114745.html