Jeux de société connectés ?
Une autre évolution importante a eu lieu ces toutes dernières années : le jeu hybride, ou le jeu de société soutenu, accompagné, drivé par une application. Cela dit, la rencontre entre électronique et jeu physique ne date pas d’hier (on pourrait citer la parution en 1987 de Assault of the Ogroids : un jeu solo où le protagoniste devait traverser les cases d’un plateau tandis qu’un programme BASIC générait les rencontres) mais le déferlement des smartphones a porté ce mariage a un tout nouveau degré.
Malgré tout, dans ce domaine, peu d’appelés et encore moins d’élus !
Essais ludiques peu convaincants ou résistance du public ? Le fait est que la tendance se démocratise plutôt lentement. En tout cas, là aussi FFG fait le gros du boulot de R&D. XCOM fut la première expérience avec une appli intégrée indispensable au jeu à véritablement tenter (on dit bien “tenter”) quelque chose de novateur et de significatif pour le joueur, conduisant ce dernier à naviguer entre plateau concret et support numérique.
Plusieurs titres ont considérablement bouleversé l’art du tapage de carton ces dernières années. On pense par exemple à Dominion de Vaccarino, sorti en 2008. Il a su faire du « deckbuilding 2.0 » une catégorie de jeux à part entière (Trains y adjoindra pour la 1ère fois un plateau, et Mage Knight mit pour la 1ère fois la mécanique au service d’autre chose de beaucoup plus vaste), genre qui a ensuite donné lieu au bag building, au dice building, puis au card crafting, au dice crafting… et engendré une ribambelle de petits cousins plus ou moins éloignés, de Battalia à Great western.
Difficile de mentionner les jeux de cartes sans évoquer également la mécanique du draft. 7 Wonders vient ensuite tout naturellement en tête (Bauza, encore !). La mécanique préexistait déjà, mais c’est indéniablement lui qui a su la populariser à une très grande échelle.
Drafter, c’est sélectionner (souvent des cartes, mais pas toujours : par exemple, on drafte des dés dans Seasons) choisir à la fois ce que l’on prend, mais aussi ce qu’on laisse aux voisins. Grâce à des choix simultanés, le draft a pour avantage de fluidifier les tours et donc de dynamiser les parties tout en offrant des situations souvent cornéliennes.
La mode du draft sous toutes ses formes ne s’est donc jamais véritablement essoufflée depuis 2010 et l’arrivée de 7 Wonders (qui a d’ailleurs connu un succès peu commun avec sa version « 2 joueurs » que A. Bauza a composé avec B. Cathala).
Et puisqu’on évoque les choix de cartes, la transition est toute trouvée pour parler d’un jeu qui a sans doute secoué les mœurs ludiques (et consommatrices) de bon nombre d’entre vous, un jeu inventé en 1993 regroupant près de 17 000 cartes différentes avec lesquelles les joueurs peuvent potentiellement dealer… Magic l’Assemblée, bien sûr de Richard Garfield.
Son business model, son circuit de tournois (plus de 2 000 joueurs se retrouvaient encore il y a quelques jours à Lyon), son incroyable marché secondaire (certaines cartes rares sont plus rentables qu’un livret A), son grand nombre de règles (même si tout a été simplifié depuis), son succès, sa longévité, son multivers, sa communauté… Ce tout premier jeu de cartes à collectionner signé Wizards of the Coast s’avère un phénomène hors norme pas prêt de se détériorer malgré de fulgurantes concurrences numériques (comme Hearthstone).
Un mot sur les party games avant de conclure. Nous avons déjà cité les Loups-garous de Thiercelieux (qui de Secret Hitler à Ultimate Werewolf Legacy aura inspiré bien du monde) mais d’autres sont évidemment entrés dans le panthéon ludique.
Codenames fut l’un des très rares à obtenir la récompense suprême du Spiel, un succès critique et public (traduit en 28 langues) rarement atteint pour un « petit » jeu d’ambiance, catégorie souvent un peu snobée par les prix et les critiques. Un carton signé « god » Vlaada Chvátil bien sûr.
Avant Codenames, Concept poussait déjà la porte des jeux à base d’associations d’idées qui fleurit depuis (When I dream, Profiler, Yesss!…), même si Dixit avait (à sa façon toute personnelle) un peu défricher le terrain en 2008. Avant cela, les party games étaient souvent des jeux moins cérébraux et plus physiques. On pense par exemple au Time’s up avec ses sessions de mimes, ou l’indétrônable Dobble mettant en action votre rapidité d’observation.
Depuis quelques décennies, le nombre et les formes de jeux de société n’ont cessé d’augmenter. Cartes, dés, plateaux, tuiles, pions, mais aussi pistolets en mousse, totems en bois, livrets de jeu, figurines en plastique… Leurs matériels se sont enrichis, développés…
Notre civilisation est la plus joueuse !
Les jeux de société se sont désormais introduits dans l’enfance de tout un chacun, se sécurisant ainsi une place sur le marché. En effet, la qualité d’un jeu ne se mesure pas uniquement à son modernisme. Certains jeux, pourtant tous nouveaux, sont dénaturés par leurs éditeurs, qui les éloignent au maximum de la réalité, et rencontrent rarement un franc succès.
Cependant, certains classiques, incrustés dans la vie de tous les jours, transcendent en quelque sorte temps et espace, et accompagnent l’homme génération après génération. Ces derniers, que l’homme a connus durant son enfance, lui ont permis de grandir, de découvrir le monde, tout en se divertissant. On parle alors de socialisation dès l’enfance.
Aujourd’hui, 700 nouveaux jeux sont mis sur le marché chaque année et compte tenu de la progression des ventes (+ 35% en 2005), le jeu en vaut apparemment la chandelle.
En 5000 ans, le jeu a beaucoup rebattu les cartes au point de devenir un véritable empire au service ou au détriment de la société, à vous de juger. Il devient un enjeu de société tant du point de vue éducatif : 5 millions d’enfants américains seraient devenus addicts- qu’en terme écologique : les trois principales consoles (Wii, Xbox 360 et Playstation) consomment 16 milliards de kwh par an, rien qu’aux USA, selon le Natural Resources Defense Council (NRDC).
Face à une avidité de virtualité, les maîtres du jeu deviendront-ils les maîtres du monde ? Du moins, deviendront-ils les maîtres d’un monde qui, comme le pense le sociologue Michel Maffesoli, est en train de changer de paradigme : aujourd’hui et encore plus demain, place au présent et au carpe diem.
Tout l’univers des jeux en somme.
Pour Jean-Marie Lhôte, auteur de Histoire des jeux de société, notre époque connaît pour la toute première fois une déconnexion du réel par rapport au travail, ainsi que la perte du sacré. Selon lui, cela se traduit par 4 points que l’on retrouve dans les jeux d’aujourd’hui :
« L’invention de l’électricité au XIXe abolit le jour et la nuit. Il n’y a donc plus de limites entre le sacré, qui est solaire, et la folie, le jeu, lunaire. Le défi aux lois de la pesanteur ; ensuite : depuis un siècle, on fait ce qu’on veut dans tous les sens avec le fer, le béton, alors qu’avant on posait rationnellement une pierre sur une autre
Puis la relation à l’argent, qui s’est totalement déconnectée du travail : avant, il y avait capitalistes et ouvriers, c’était de l’exploitation et je ne défends pas cela. Mais l’argent était directement lié au travail, alors qu’aujourd’hui, avec la bourse, les banques, il est totalement abstrait.
Et enfin, la pilule, invention formidable, il n’y a pas à revenir là-dessus, mais qui sépare totalement l’acte sexuel de la réalité de la procréation.
La déconnexion, c’est la première caractéristique du jeu. A l’inverse de la mémoire, du sacré, du réel et du travail (continuité), la deuxième caractéristique du jeu, c’est la discontinuité: à moins d’avoir basculé dans la folie, un vrai joueur n’aime pas jouer longtemps. Typique de la démocratie qui joue sur la discontinuité: on vote tout le temps, le plus souvent possible.
On zappe en politique comme à la télé ».
En 2013, alors que les tablettes pour enfants sont en passe de devenir les jouets les plus vendus de l’année, les jeux de société font de la résistance. Ils représentent 10,4% d’un marché du jouet qui pèse 3,1 milliards d’euros. « Dans un marché stable, leurs ventes se portent très bien, en progression de 3,4% depuis le début de l’année », précise Frédérique Tutt, spécialiste des jouets au sein du cabinet NPD.
« Le marché du jeu de société français est le plus important en Europe, ajoute Frédérique Tutt. C’est une tradition française en quelque sorte que l’on retrouve dans les jeux de cartes de nos aînés: le tarot, la belote, le rami… Aujourd’hui, le jeu de société doit être plus rapide et fun en même temps ».
Avec 700 000 exemplaires qui devraient être écoulés cette année, Dobble espère détrôner le leader historique, Monopoly (Hasbro). À la 9e place du classement de La Grande Récré, il lui reste encore une marge de progression.
Mais Monopoly n’est pas le seul parmi les grands classiques à caracoler en tête des ventes. Sur la liste des meilleures ventes, on trouve les jeux stars des deux champions américains, Hasbro et Mattel. On peut citer pêle-mêle Docteur Maboule (Hasbro) ou Scrabble (Mattel), La Bonne paie (Hasbro) ou Uno (Mattel), qui ressortent régulièrement avant Noël dans de nouvelles versions.
Mais Monopoly n’est pas le seul parmi les grands classiques à caracoler en tête des ventes. Sur la liste des meilleures ventes, on trouve les jeux stars des deux champions américains, Hasbro et Mattel. On peut citer pêle-mêle Docteur Maboule (Hasbro) ou Scrabble (Mattel), La Bonne paie (Hasbro) ou Uno (Mattel), qui ressortent régulièrement avant Noël dans de nouvelles versions.
Vous comprenez bien qu’il y aurait véritablement matière à écrire des livres sur la question et l’on peut d’ailleurs regretter le manque de littérature dédiée aujourd’hui (en particulier dans la langue de Molière). Il m’est évidemment impossible de citer ici tous les jeux qui ont joué un rôle dans cette grande histoire et le tri se fait drastique dans le contexte d’un simple article. Cela dit, nous espérons avoir su mettre en avant certains noms essentiels qui ont su bouleverser notre hobby pour le plus grand bonheur des joueurs.
De nouvelles pratiques ludiques
Un nouveau concept a émergé ces dernières années, le bar à jeux… Un cadre sympa, des tables, des bancs et un beau choix de jeux classiques ou plus nouveaux. La plupart des grandes villes ont vu ouvrir ces bars où l’on vient entre copains pour passer un bon moment, en sirotant une bière et en grignotant son plateau de charcuterie…
« C’est sympa, on passe un bon moment, on se détend, on oublie tout le reste », raconte Marine, parisienne de 24 ans, qui vient souvent avec des amis.
Eh oui, le jeu de société est d’abord un magnifique outil de convivialité, un moyen simple pour relier les générations, les cultures, détendre les caractères et les relations. Vous cherchez une activité pour fédérer votre petit groupe d’étudiants, pour présenter votre amie d’enfance à de nouveaux copains, pour passer du temps avec quelqu’un sans avoir l’air de le ou la draguer ? Pensez à cette activité de loisirs « bon enfant ».
Quant à louer des jeux, c’est une pratique de plus en plus courante. En effet, si vous n’avez pas de bar, vous pouvez tout à fait louer un ou plusieurs jeux pour une occasion particulière.
Pour quelques euros à peine, vous avez ainsi un large choix de jeux classiques ou nouveaux et vous pouvez tester les thèmes correspondant à votre cercle de joueurs… Avantage de la location : vous n’avez pas à stocker l’énorme boite durant des années dans votre chambre, et vous pouvez en plus varier les jeux.