Les tout premiers jeux de société : l’Empire romain
A l’époque romaine, les dés sont lancés ! Apparus chez les Égyptiens mais aussi en Inde, vers 3000 ans avant notre ère, les dés faisaient largement partis du paysage ludiques dans les couches populaires romaines comme dans les hautes sphères. On rapporte que l’empereur Néron n’hésitait pas à jouer sur un coup de dés la somme de 400 000 sesterces, soit l’équivalent de la solde de 400 soldats.
Les jeux vont manifester le changement d’une façon spectaculaire par la transformation de leurs tabliers : ils étaient rectangulaires ou en spirales ; ils deviennent carrés. Les joueurs ne sont plus dans un parcours au coude à coude mais face à face dans un combat. Ces tabliers carrés sont en effet divisés en cases avec une matrice qui devient universelle : les soixante-quatre cases bien connues des joueurs d’échecs. Cette organisation peut en effet s’obtenir sans calcul ; il suffit de prendre la moitié des côtés opposés du carré et de les réunir par une ligne, et de nouveau la moitié et encore la moitié… voici le quadrillage effectué tout naturellement ce qui, par parenthèse, va conférer au chiffre 8 une valeur qui deviendra symbolique : signe d’équilibre souverain et de justice.
Les grecs transposent les affrontements de leurs hoplites, leurs fantassins armés d’une longue lance et protégés par un grand bouclier. Au signal les deux groupes se précipitent l’un contre l’autre pour tuer le plus d’adversaires possibles. Sur le tablier les pions se déplacent dans des mouvements qui rappellent ceux de notre jeu de dames. Il ne s’agit plus d’un cheminement vers une terre promise mais de conquête et de mise à mort des ennemis qui sont en face – et le simple fait d’être “en face” fait d’un pion (et d’un homme) un ennemi.
Plus généralement, Grecs et Romains prisaient particulièrement les jeux de sociétés stratégiques, comme le « jeu de poilis » (jeu de la ville) ou le jeu romain à caractère militaire « Latroncules ».
Force est d’imaginer la règle, quand on n’a en main que des tablettes gravées et des pierres ou des coquillages les accompagnant. Énigme d’autant plus grande que ces jeux ne sont ni d’une même époque (de -3200 à -300) ni d’une même région (Iran, Chypre, Egypte, Lybie, Grèce, Rome, Soudan, Palestine…).
Heureusement certaines gravures, montrent des joueurs en action, quelques textes énoncent des règles. Rares sont cependant les images du plateau de jeu, qui permettraient de voir la place des pièces. Ainsi pour Achille et Ajax : plusieurs poteries les montrent en train de jouer, mais de profil. Un seul vase les montre avec une vue plongeante qui donne à l’expert la possibilité d’analyser leur jeu.
C’est l’un des jeux les mieux connus et des plus appréciés du monde romain. En latin, latrones signifie mercenaires pendant la République romaine (VIème siècle av. J.-C./1er s. avant J.-C). Ce jeu est mentionné par Varron (1er siècle av. J.-C.) puis par Ovide : « le soldat avance en ligne droite, une pièce périt au milieu de 2 ennemis. Il faut tenter la poursuite et rappeler la première pièce envoyée à l’attaque, celle-ci ne doit se lancer sans être accompagnée pour assurer sa fuite ». Mais, on le connaît bien grâce à un poème de Laus Pisonis de Siculus (1er siècle ap. J.-C.). Il est souvent représenté sur des bas-reliefs romains. Des plateaux quadrillés en terre et en pierre ont été retrouvés sur les sites d’anciens camps militaires, près du mur d’Hadrien (Angleterre). Il est comparable aux jeux de dames et d’échecs actuels.
C’est un jeu de stratégie dans lequel aucun élément aléatoire n’intervient ; la connotation militaire est certaine. Aucun pari d’argent ne semble avoir existé ; le jeu est uniquement basé sur le plaisir, la rapidité, la surprise et la ruse. Le vainqueur pouvait recevoir le titre d’ « Imperator ». Malheureusement, les règles ne sont pas connues, notamment le mode de déplacement et la valeur des pions. Le but est de capturer les pions de l’adversaire, désorganiser l’ennemi tout en conservant le plus longtemps possible ses propres rangs serrés. Les pions sont répartis sur deux ou trois lignes. Les coups se construisent avec une logique d’isolement et d’encerclement.
Les jeux de tables chez les Grecs et les Romains étaient en premier lieu des jeux de stratégie, tandis que les jeux de l’Egypte et du proche Orient – jeu de Senet, jeu de 20 cases, ou le jeu de 58 trous – sont classés comme des jeux de parcours. L’expression de la volonté divine liée à l’usage des dés afin de réaliser un parcours donne sa place à l’intervention du raisonnement et le rôle actif des joueurs pour le déplacement des pions. La chute de l’Empire romain entraîna également la perte d’une grande partie de sa culture. Toutefois, la civilisation gréco-romaine continua à vivre dans l’Empire byzantin.
Dans cette panoplie des jeux traditionnels, le jeu de cartes fera son apparition pour la toute première fois en 1370 . Les jeux de cartes inondent l’Europe grâce à l’essor de l’imprimerie. A la fin du XIXe siècle, les cartes adopteront des décors spécifiques, plus proches du réel. La voie est ouverte pour de nouveaux types de jeux, comme le Monopoly dont le premier lancé de dés date de 1930.
En 2013, Arkéo Fabrik se renouvèle et édite une nouvelle collection de plateaux de jeux antiques, originaires du monde romain, égyptien et du Moyen-Orient. Patiemment élaborés dans nos locaux, ces nouveaux plateaux de jeux en pierre reconstituée succèdent aux anciens, réalisés en terre cuite. Plus solides sans perdre leur qualité esthétique, ces jeux vous invitent à découvrir ou redécouvrir certains aspects de la vie quotidienne antique par une approche ludique originale !
Il est intéressant de noter que toute cette période antique se décompose en 2 phases. Une première durant laquelle les jeux de parcours étaient largement dominants, puis une seconde où l’on a vu apparaître et se développer des jeux d’affrontement.
Et ce type de jeu va se prolonger un millénaire ! Les durées sont longues dans l’histoire des jeux. En observant que si les grandes familles de jeux se succèdent par vagues, elles ne suppriment pas pour autant les jeux antérieurs ; par exemple les jeux de parcours survivent en évoluant dans notre backgammon moderne.
Malgré tout, la connaissance de ces supports ludiques est traditionnellement sujette à interprétation de la part des archéologues et des historiens. Il n’existe en effet pas de règles écrites de ces jeux dont nous ayons trace. Aussi, il n’est pas rare de voir fleurir dans le commerce des règles bien différentes pour ces jeux antiques, en fonction des envies ou des déductions des uns et des autres. La première règle de jeu écrite dont nous ayons trace date pour sa part de -177/-176 et concerne le « jeu des 20 cases ». Elle é été mise à jour par le conservateur au département des antiquités orientales du British Museum. Pour faire écho à ce que nous disions plus haut, au dos de cette règle se trouvaient des éléments montrant comment utiliser ce support pour prédire le destin d’un individu, les pions représentant la course des planètes dans le ciel.
Période de transition pour le jeu
Les siècles passent. On joue aux échecs dans les châteaux et aux dés dans les tavernes.
Le peuple a pour lui les jeux de force et d’adresse pratiqués le dimanche et les jours de fêtes. Il s’agit de détentes et de repos pour mieux reprendre le travail par la suite. Les jeux d’argent sont interdits aussi bien par l’Église que par le Roi. Mais une nouvelle vague de jeux s’annonce qui va modifier la scène.
À la fin du XIVe siècle, nous sommes à l’époque du Grand schisme d’Occident avec les pôles que sont Rome et Avignon pour les papes : désorganisation des cadres ecclésiastiques, scission des ordres religieux, désarroi des consciences… L’époque est propice : voici les jeux de cartes que l’imprimerie démultipliera à foison. Ils vont pénétrer le petit monde des commerçants et de la bourgeoisie naissante alors que les bourgades deviennent de petites villes.
Ces jeux sont faits pour distraire mais ont également une fonction pédagogique, en ce sens qu’ils exigent de savoir compter. Or l’enseignement est encore dans l’enfance. Ainsi le jeu – et le jeu d’argent – réservé auparavant aux princes dans leur châteaux et aux soldats dans les tripots, se vulgarise dans les classes moyennes. Dans le même temps, le jeu des tables devient le trictrac dont le résultat ne se fonde pas sur une arrivée de pions, mais sur un décompte de points en fonction des mouvements effectués. Des images montrent les jeux ; des livres vont bientôt diffuser les règles. Le jeu et l’esprit de jeu se diffusent.
Quelques siècles plus tard le mouvement amorcé avec les cartes à jouer prend une ampleur considérable avec les loteries d’État en devenant un phénomène de société planétaire. Cette fois le peuple lui-même est concerné car les mises peuvent être très faibles. La faveur dont jouit la loterie est immédiate et ne se démentira plus comme en témoignent les jeux sur internet et les tickets à gratter.
Une autre étape essentielle, dans l’histoire universelle du jeu, porte la marque d’Alphonse X, roi de Castille.
Cet érudit, connu dans l’histoire sous le nom d’Alphonse le sage, dirigea personnellement un groupe d’experts. Il leur assigna en 1283, la charge d’écrire une série de livres sur les sujets qui consistaient à ses yeux la base de la société. Parmi les thèmes essentiels, tel que l’histoire, la religion, l’astronomie et la magie, figurait le livre des jeux.
Dans son introduction, le souverain espagnol déclare que Dieu a voulu donner aux hommes toute une série de joies dans la vie afin qu’ils supportent mieux les peines et les travaux qu’ils doivent assumer.
Son ouvrage révèle les jeux connus pendant le moyen âge espagnol, tels que les jeux de damiers.
Depuis des millénaires, les jeux ont traversé les frontières et les océans grâce aux marchands, aux explorateurs, aux militaires et beaucoup de jeux se sont modifiés après des siècles d’existence.
C’est ainsi que le tabula des romains est passé en Espagne, au XIIIe siècle, via les arabes, qui l’appelait nard. Il est finalement devenu le backgammon de nos jours.