En fin d’après-midi, après la promenade dans les jardins ou la chasse, les courtisans étaient invités à rejoindre les appartements pour des jeux de carte comme le lansquenet, les jeux de hasard comme le portique, ou encore les jeux d’adresse : le billard qui est l’un des préférés de Louis XIV.
Versailles est le Las Vegas du XVIIe. L’affaire est d’autant plus cocasse que le Parlement, la police, le clergé, luttent activement contre cette plaie. Les tripots sont fermés, les jeux de hasard interdits et les contrevenants exposés à de lourdes amendes et peines de prison. Louis XIV lui-même soutient cette politique de répression tout en transformant sa maison en un vaste casino. Comme si, au temps
de la Prohibition, on avait organisé des soûlographies à la Maison-Blanche.
Au-dessus des lois, le souverain encourage dans sa noblesse ce qu’il interdit à son peuple. Il a bien sûr ses raisons : pendant qu’on joue au hoca, au reversi, au piquet, à l’hombre, au lansquenet – autant de jeux de l’Ancien Régime qui n’ont pas survécu – on n’intrigue pas, on ne manigance rien, on oublie les affaires du royaume. Le jeu, l’opium de la noblesse. Le roi donnant l’exemple, on l’imite. On se damnerait pour être à sa table. On se flatte d’avoir été invité. On se grise des conventions qui tombent : ces soirées sont en effet l’occasion d’un relâchement de l’étiquette.
On parie donc dans tout le palais, alors que les jeux de hasard sont interdits partout ailleurs dans le royaume. Mais jouer, c’est s’exposer aussi à des pertes considérables. Les sommes en jeu grimpent très vite. « C’est un vrai coupe- gorge », se lamente Mme de Sévigné, qui a cédé aux sirènes du tapis vert. Car les femmes ne sont pas les dernières à solliciter le hasard.
Il arrive aussi que certains courtisans se tournent suppliants vers le roi, pour qu’il acquitte à leur place les dettes contractées. Louis le Grand devient le généreux. Il règle parfois, rubis sur l’ongle, en sachant que le gentilhomme ainsi sauvé lui en sera éternellement reconnaissant, ficelé, garrotté, fait comme un rat. Le jeu fait donc partie d’une stratégie de racket officiel, de dépendance et d’éloignement : car la Cour, telle qu’elle est pensée par Louis XIV, est un système qui consiste à détacher les nobles de leurs terres et à les obliger à des dépenses somptueuses à Versailles : chevaux, habits, gens, jeu. C’est un peu le principe des subprimes avant l’heure. On incite à dépenser à crédit, sans certitude sur le retour, actionnant un piège qui fonctionne d’autant mieux que l’on s’ennuie à Versailles. Que faire d’autre sinon ragoter, colporter, flirter et jouer ? Les soirées d’hiver sont longues.
Le jeu insuffle un peu d’audace, d’adrénaline dans un univers répétitif, réglé comme une montre suisse par les horaires immuables du roi-machine. Le jeu, il est vrai, en vaut parfois la chandelle.
Il est des professionnels qui se bâtissent une vraie fortune dans les maisons environnantes du château. à Versailles, en effet, on tient table ouverte toute la journée et même toute la nuit.
Cette passion du jeu ne passera pas avec les règnes de Louis XV et de Louis XVI. Elle connaîtra même son apogée avec Marie-Antoinette, tête folle, qui déclare sans barguigner : « Il faut bien que je me distraie et je n’en trouve les moyens qu’en multipliant mes amusements ». Il ne s’agit plus de régner, de dominer, d’asservir comme avec Louis XIV, mais de s’étourdir.
C’est pire que Monte-Carlo ! Les jeux ont lieu trois fois par semaine, pendant les fameuses soirées d’appartement. Il s’agit surtout de parties de cartes, mais on joue également au loto, aux échecs, aux dames… C’est à la fois une passion et un passe-temps très prisé. Tricher est très mal vu : il est arrivé que Louis XIV exile de la cour des mauvais joueurs. Savoir perdre est un savoir-être !
On parie des sommes folles, parfois des fortunes entières. Certains seigneurs se suicident même après une faillite !
Le pharaon est un jeu de cartes, particulièrement en vogue à Versailles à la cour de Louis XV et de Louis XVI. « En ce temps, les dames jouaient au pharaon. Un soir, à la cour, ma grand-mère, jouant contre le duc d’Orléans, perdit sur parole une somme considérable1. » Les règles de ce jeu étaient telles qu’elles avantageaient de beaucoup le banquier. Il était facile de tricher au pharaon à condition d’avoir du sang-froid. Il était facile de tricher au pharaon à condition d’avoir du sang-froid. Casanova écrit dans son Histoire de ma vie qu’il ne faut jamais ponter au pharaon si on veut gagner et il rapporte comment il prit part à une opération de tricherie avec un « correcteur de fortune » milanais, comme on les appelait alors, du nom de Don Antonio Croce. Au XIXe, il se répand en Russie et aux Etats-Unis.
Outre l’Histoire de ma vie de Casanova, le pharaon apparait dans diverses œuvres littéraires : Hoffmann en fait le sujet de son conte Bonheur au jeu (1820) et, dans La Dame de pique d’Alexandre Pouchkine (1834), la vieille comtesse Anna Fédotovna possèderait une stratégie gagnante au jeu de pharaon. C’est à la recherche du secret de cette stratégie que se jette résolument le jeune Hermann. La même année, Stendhal écrit Lucien Leuwen, roman inachevé dans lequel le jeune héros passe une bonne partie de la nuit à jouer (chapitre 29). Il apparaît également dans Candide, de Voltaire, lorsque les personnages sont de passage à Paris (chapitre 22 ). On peut également noter la présence de ce jeu dans Manon Lescaut, de l’Abbé Prévost (dans la première partie, lorsque des Grieux joue avec M. Lescaut et ses acolytes).
Il est cité dans de nombreuses œuvres littéraires comme « Guerre et Paix » ou « Les mémoires de Barry Lyndon ». Même au début du premier acte de « La Fille du Far West » de Giacomo Puccini, on voit les patrons d’un saloon qui jouent au Pharaon.
Son succès est essentiellement due à ses règles intuitives, à la rapidité d’action et au fait que, par rapport à d’autres jeu, il a été en mesure d’offrir une meilleure chance de gagner.
Dans la même partie, un nombre indéfini de joueurs pouvait participer.
Variante de la Bassette, le Pharaon l’a rapidement supplantée. Il a connu les mêmes interdictions que son aînée. En 1708, Rémond de Montmort dans son Essai d’analyse sur les jeux de hasard a démontré que le Pharaon était encore plus à l’avantage du banquier que la Bassette.
Les règles présentées ici concernent essentiellement les modifications apportées à la Bassette.
Avec le basset, qui est le jeu dont il dérive, le Pharaon a été interdit en France par Louis XIV.
Il semble toutefois qu’il ait pris des mesures moins strictes à l’intérieur de la Cour, puisque les jeux de cartes y avaient sur leur dos une représentation d’un pharaon.
Au cours du XVIIIème siècle, le Pharaon se répandit au Royaume-Uni : ses qualités sont louées, même par Gilly Williams (1719-1805), officier de l’armée britannique connu pour son humour et pour ses lettres.
Entre les 18ème et 19ème siècles, le Pharaon est devenu très populaire aux Etats-Unis, en particulier dans les salles de jeux du Far West. A l’époque de la guerre civile, dans les années 1860, on trouvait à Washington plus de 150 endroits où on jouait au Pharaon.
Dans un premier temps, les joueurs utilisèrent des paquets sur lesquels figurait au dos un titre du Bengale. L’image de l’animal a ensuite été associée au jeu, si bien que plusieurs établissements affichaient à l’extérieur un tigre pour montrer qu’il s’y déroulait des parties de Pharaon.
Par rapport à d’autres jeux, au Pharaon la marge de la Maison était inférieure lorsque le banquier était honnête. Mais ce n’était pas du tout évident car à l’époque on avait produit des sets de jeux pour tromper les concurrents à la table. Certains cas de fraude furent d’ailleurs suivis par la Cour suprême.
Le manuel populaire Hoyle’s Rules of Games, dans le chapitre sur le Pharaon, mettait clairement en garde : « Dans tous les Etats-Unis, il n’y a pas un seul dealer honnête, même payé à prix d’or ».
Dans l’éventualité (très éloignée donc) où les règles du jeu étaient respectées par la maison, la banque obtenait gain de cause uniquement dans le cas où deux cartes de la même valeur sortaient du sabot. La banque emportait alors 50 % des sommes pariées avant la sortie de la seconde carte de même valeur.
Au fil des décennies, la popularité du Pharaon a été en déclinant progressivement, surtout après la Seconde Guerre Mondiale. Le jeu, cependant, a continué à être pratiqué dans certains casinos du Nevada jusqu’au milieu des années 1980.
Règles du jeu
Le pharaon ou Faro en anglais est un jeu de pur hasard. Il se déroule entre un banquier et un nombre illimité de joueurs appelés pontes, sur une table ovale recouverte de feutrine verte. Sur ce tapis est disposé en forme de U un exemplaire de chaque carte de l’As (qui compte 1) au Roi. Le banquier joue avec un jeu entier composé de cinquante-deux cartes qu’il mélange. Le banquier « taille » avec un jeu entier composé de cinquante-deux cartes. Il tire toutes les cartes de suite, mettant les unes à sa droite, et les autres à sa gauche. On taille à chaque main, c’est-à-dire que le ponte a la liberté de prendre une ou plusieurs cartes, de deux en deux cartes et de miser une certaine somme dessus.
Il commence par brûler la première du paquet (ce qui signifie écarter cette carte, face visible, sans qu’elle ne soit prise en compte). Contrairement à la Bassette, le banquier dévoile deux cartes simultanément en plaçant la première à sa droite et la deuxième à sa gauche.
La carte placée à droite est appelée « carte de face » et fait gagner le banquier. Le mot face ne doit pas être confondu avec celui utilisé à la Bassette.
La carte placée à gauche est appelée « carte anglaise » et fait perdre le banquier.
Les pontes, à chaque tirage, peuvent miser sur un des dessins de cartes sur le tapis en disant s’il pense que la carte, quand elle sortira, sera une carte gagnante ou une carte perdante. Les joueurs peuvent retirer ou modifier leur mise à tout moment. Le banquier gagne la mise du ponte, lorsque la carte du ponte tombe dans l’emplacement carte perdante tandis que le ponte avait misé sur une carte gagnante ou inversement. Le banquier emporte toujours la totalité de la mise du ponte Le ponte gagne sa mise lorsque son pronostic était bon.
« Le banquier prend la moitié de ce que le ponte a mis sur la carte, lorsque dans une même taille, la carte du ponte vient deux fois – ce qui fait une partie de l’avantage du banquier. La dernière carte qui devrait être pour le ponte, n’est ni pour lui, ni pour le banquier – ce qui est encore un avantage pour le banquier » (Rémond de Montmort).
Le joueur peut miser sur plusieurs cartes différentes, y compris avec une même mise (comme à la Roulette, on peut effectuer un cheval ou un carré en misant à cheval sur plusieurs emplacements). Dans ce cas, dès qu’une des cartes misées sortira, le ponte gagnera ou perdra sa mise.
Chaque ponte dépose sa mise dans sa case. Le banquier retourne ensuite deux cartes d’un jeu mélangé et coupé, une en face de chaque colonne du tableau. La colonne ayant la carte la plus forte gagne ; chacun récupère sa mise, doublée par le banquier. Le banquier prend les mises de l’autre colonne.
Si les deux cartes sont de même niveau, le banquier ramasse tout.
Le banquier gagne la mise du ponte, lorsque la carte du ponte arrive à la main droite dans un rang impair, et il perd, lorsque la carte du ponte tombe à la main gauche, et dans un rang pair.
Le banquier prend la moitié de ce que le ponte a mis sur la carte, lorsque dans une même taille, la carte du ponte vient deux fois – ce qui fait une partie de l’avantage du banquier.
La dernière carte qui devrait être pour le ponte, n’est ni pour lui, ni pour le banquier – ce qui est encore un avantage pour le banquier.
Lorsque les deux cartes d’une taille forment une paire, le banquier retire la moitié de la mise du ponte qui a joué sur la carte du même type.
Comme à la Bassette, la petite paix consiste pour le ponte qui vient de gagner, à ne rejouer que son gain. Pour cela le ponte laisse sa mise et perçoit son gain, ce qui revient à ne jouer que son gain.
Le Dictionnaire des jeux de Lacombe, à la fin du XVIIIe siècle, décrit une autre manière de procéder que l’on retrouve dans la littérature : le ponte qui tente la petite paix ne perçoit pas son gain, et déplace sa mise initiale sous sa carte qu’il corne comme pour faire un paroli. Si le ponte gagne à nouveau, soit il perçoit deux fois le montant de sa mise, soit il décide de tenter la grande paix en faisant un nouveau paroli en cornant une deuxième fois sa carte. S’il gagne la grande paix, il perçoit quatre fois le montant de sa mise. Si le ponte perd la petite ou la grande paix, il retire sa mise de dessous la carte.
Toute l’habileté du pharaon se réduit, pour les pontes, à observer ces deux règles de façon à diminuer le plus possible son désavantage :
1. Ne prendre des cartes que dans les premières tailles et miser d’autant moins sur le jeu qu’il y a un plus grand nombre de tailles passées.
2. Considérer comme les plus mauvaises cartes celles qui n’ont pas encore passé ou celles qui ont passé trois fois, et préférer à toutes celles qui ont passé deux fois.
Bien que disparu aujourd’hui, il est encore possible d’y jouer en ligne. Vous pouvez par exemple essayer avec Wichita Faro. Voir ici : http://ml.game-game.com/2540
Ou encore ici : https://www.newgrounds.com/portal/view/173941
Références
Rémond de Montmort, Essai d’analyse sur les jeux de hasard, Jacques Quillau, Paris, 1708
Jacques Lacombe, Dictionnaire des jeux, Panckouke, Paris, 1792