Au revoir, Monsieur Phal !

Monsieur Phal quitte le site de jeux Trictrac : « Le joueur s’est transformé en consommateur ». 

 

 

Monsieur Phal quitte le site de jeux Trictrac : « Le joueur s’est transformé en consommateur » A 54 ans, Monsieur Phal a décidé de tourner la page de Trictrac, site Internet qu’il a fondé à Orléans en 2000. © Orléans AGENCE

Si vos étagères croulent sous les boîtes de jeux de société, c’est peut-être bien à cause de lui. Depuis 2000, Monsieur Phal animait le site Internet orléanais Trictrac, mine d’infos et de vidéos sur le monde ludique. L’aventure se poursuit mais sans lui.

Pendant dix-neuf ans, il aura été l’une des têtes de gondole d’un monde ludique d’abord balbutiant, aujourd’hui prospère, au travers de vidéos didactiques et réjouissantes. Le verbe et la barbe fleuris, Monsieur Phal, créateur de Trictrac, a décidé de dire au revoir à ses « internautateurs » et de remiser « par-devers » lui ses boîtes de jeu. Le site Internet, désormais entre les mains de l’éditeur Asmodée (Dobble, Jungle Speed…), poursuivra sa route sans lui. Rencontre dans son officine orléanaise, à la veille de son départ.

 

Quand s’est décidé votre départ ?

Cela fait un moment que j’ai levé le pied car cela s’organise. Quand j’ai vendu en février 2018, j’avais dit « oui » au nouveau propriétaire (l’éditeur québecois Plan B Games, ndlr) pour rester deux ans parce qu’il y avait encore plein de choses à faire. Je me suis effacé au fur et à mesure sur les articles et les Trictrac TV, sachant que j’intervenais encore parce que je reste joueur. Finalement, je n’ai gardé que les bons côtés de la chose. Quand je voyais des gens que j’aimais bien, quand je voyais des jeux qui me titillaient, je m’asseyais à la table et je laissais au pauvre Guillaume (autre animateur du site, ndlr), tous les jeux qui ne m’intéressaient pas (grand sourire). 

 

 

J’intervenais donc uniquement quand ça me faisait plaisir ou quand on décidait d’innover : on a par exemple lancé notre chaîne Youtube et ça m’intéressait de participer. Par contre, j’ai continué de réfléchir au développement informatique, de faire le lien entre les développeurs et la boutique qui était à Bordeaux.

 

M. Phal, à la tête de Trictrac, leader européen des sites de jeux de société

 

J’ai continué à prendre part à la réflexion : comment se réorienter, inventer de nouveaux formats ? Comment appréhender les changements du secteur ? Le secteur a beaucoup changé, l’information a beaucoup changé. Mais, physiquement, j’étais moins le représentant de Trictrac. Et puis, ces derniers mois, il y a eu des moments de flottement quand le nouveau propriétaire a voulu vendre. 

 

Au point que vous avez pensé différer votre départ ?

Non, moi je voulais arrêter. Je voulais faire en sorte que ça marche pour que quelqu’un reprenne. Je ne voulais pas laisser mes camarades (l’équipe compte sept autre salariés, ndlr) partir dans quelque chose qui n’était pas intéressant. Moi, je gérais en bon père de famille : on génère de quoi payer nos salaires et s’il reste de l’argent, on achète du matériel. Là, ce n’était plus la même idée : il fallait rentabiliser, trouver des moyens de gagner de l’argent,… Ce n’était pas le même esprit. Si ça ne générait pas suffisamment de bénéfices, le risque, c’était qu’on vire les gens… Et puis Asmodée s’est porté acquéreur.

 

Il y a eu la crainte de voir Trictrac disparaître ? La boutique que vous aviez lancée a notamment dû fermer après seulement un an d’existence…

La boutique n’a pas abouti parce que les circonstances n’étaient pas les meilleures. Quand j’ai vendu, j’ai élaboré 40 pistes pour intéresser 20 repreneurs différents. Avec Trictrac, il y avait moyen de faire des choses très différentes. Et il y avait notamment la vente de jeux.

 

Le problème de la vente en ligne – et c’est la faute d’Amazon – c’est de faire croire aux gens que le transporteur est quelqu’un qu’on ne doit pas payer. Il y a une guerre économique qui fait que les frais de port doivent être gratuits. Donc la marge se réduit. Vendre en ligne, c’est beaucoup de travail : les gens veulent leur commande en 48 heures, il faut répondre aux mails – même si tu n’es pas responsable parce que leur colis n’est pas arrivé. Il y a un gros travail de séduction et de satisfaction du client.

 

On a de la chance, on a toujours eu des retours positifs sur notre travail. Sauf que, pendant qu’on faisait cela, on ne faisait pas autre chose. Il aurait fallu faire un investissement colossal. Est-ce que ça valait le coup de faire tout cela pour gagner 3,50 € à chaque envoi ? Le nouveau propriétaire s’est dit que cela ne marchait pas comme il voulait : « Soit je trouve un nouveau repreneur, soit on arrête ». Donc oui, à un moment donné, il a été question d’arrêter. Mais l’objet Trictrac est tellement important pour le secteur du jeu que ça ne pouvait pas s’arrêter. C’est trop utile à des tas de gens. Du coup, Asmodée s’est dit : « On ne peut pas laisser filer ce truc ». 

 

Jeux de société filmés pour internet Photo: Daniel BEDRUNES

 

Asmodée, c’est un géant du marché du jeu. Beaucoup de gens s’inquiètent déjà de la manière dont la concurrence sera traitée sur Trictrac.

C’est difficile à comprendre parce qu’Asmodée est devenu tellement gros… On nous a déjà fait le reproche, pendant des années, d’être très proches d’eux (Marc Nunès, fondateur d’Asmodée a longtemps possédé 49 % des parts de Flat Prod, société qui détient Trictrac, ndlr) mais il suffit de regarder ce qu’est le site pour voir qu’il n’y a pas de tri. Et Asmodée sait que Trictrac ne peut pas disparaître : eux, comme tous les autres, en ont besoin. Parce qu’on est les seuls, non pas promoteurs de produits à vendre mais d’un certain esprit, qui est celui de jouer. Ils ont donc décidé de nous reprendre et de faire en sorte qu’on puisse continuer à travailler comme avant. Comment faire pour traiter tout le monde pareil ? Comment faire pour ne pas que les gens pensent que c’est Asmodée qui contrôle tout ? L’idée, c’est de garder cette liberté. Combien de temps ? On ne va pas se mentir. Aujourd’hui, c’est Asmodée. Mais peut-être que dans quatre ou cinq ans, ce sera quelqu’un d’autre.

 

Aujourd’hui, c’est fait pour continuer comme c’était avant. Car les gens d’Asmodée sont des gens qui ont grandi avec Trictrac.

 

MONSIEUR PHAL

Ce sont des gens que je connais depuis longtemps, il y a un lien affectif fort. Et puis il est impossible qu’on force les gars de l’équipe à dire du bien de jeux qu’ils n’aiment pas. 

 

Trictrac va donc se recentrer sur son « cœur de métier », l’information ?

Oui, parler des jeux. Parce qu’à un moment donné la grande difficulté a été la monétisation : gagner de l’argent parce qu’il y a des salaires à payer. On a toujours ça dans un coin de son cerveau. On a 400.000 personnes qui viennent par mois, il fallait toujours essayer de convaincre les gens de nous rémunérer. C’est fatigant. Avec Asmodée, on n’a plus ce problème de recherche d’argent parce qu’ils vont nous financer.

 

Cinq jeux de société à glisser dans sa valise cet été

 

Cela veut dire qu’ils sont prêts à ne pas gagner d’argent avec Trictrac ?

Oui. Et les gens, ici, vont pouvoir se concentrer sur une seule chose : quels sont les bons formats ? où est-ce qu’on va faire des reportages ? L’idée, c’est avant tout de pouvoir donner une belle image du secteur, continuer à innover. Avant, on avait une contrainte : tout faire pour que les gens viennent sur le site. Ce qu’on faisait n’était consultable que sur notre site, pour générer des revenus. Maintenant, quand on fait une vidéo, on peut aussi la diffuser sur Facebook et Youtube. La première décision d’Asmodée a été de dire : « On supprime les abonnements ». C’est bien, parce que moi ça me faisait ch… de faire payer les gens mais on n’avait pas le choix. Il faut bien que quelqu’un paie l’information. C’est un métier, journaliste. 

 

Votre départ de Trictrac signifie-t-il que vous en avez fini avec le milieu du jeu ?

Je vais faire totalement autre chose. J’ai commencé à faire des petites vidéos sur une page Youtube perso où j’explique mes motivations. Ce n’est jamais une, deux ou trois raisons. Ce sont des milliers de choses, parfois insignifiantes, qui nous amènent à prendre des décisions. On va en appréhender ou en verbaliser trois ou quatre, même si dans les faits ce ne sont pas les plus importantes.

 

L’une des premières raisons de mon départ, c’est que je ne suis pas entrepreneur.

 

MONSIEUR PHAL 

Je suis là par hasard. J’ai créé une activité individuelle, basée sur mes qualités et mes défauts : quelque chose d’égoïste et de personnel. Il s’avère que cette activité est devenue une entreprise. Puis j’ai embauché des gens. Puis c’est devenu une SARL, etc. Pour gérer tout cela, à un moment, il faut être entrepreneur, avoir une vision, prendre des décisions. Et moi, j’ai su très tôt que ça n’allait pas être pour moi. C’est pour ça que j’ai trouvé un associé qui, lui, était entrepreneur.

 

Pourtant cette casquette de chef d’entreprise vous l’avez portée pendant presque 20 ans…

Oui, parce que je suis curieux intellectuellement. Ca m’intéressait. Je suis enrichi maintenant de cette vision des choses. J’aurais été incapable, il y a 20 ans, de faire la différence, intellectuellement, entre un entrepreneur et un freelance. Maintenant je la connais. J’ai poussé au maximum, je connais mes limites. Je suis plutôt freelance dans l’âme. Mais quand je suis face à un entrepreneur, je comprends ses problématiques. Pour franchir un cap, il faut parler à des gens qui, eux, ne vont pas m’intéresser du tout, des financiers. Je vous fais une confidence. Quand j’ai vendu la boîte, des avocats se sont occupés de cela : on m’a dit « voilà, je défends vos intérêts et il faut que vous soyez bien conscient que la personne qui va acheter votre entreprise va peut-être la revendre dans 5 ans dix fois le prix qu’elle l’a achetée. Peut-être que si vous attendez 5 ans, vous serez dix fois plus riche ». Je le sais mais je m’en fous. Les gens qui vont venir dans 5 ou 10 ans ne vont peut-être pas me plaire et je les aurais envoyés balader. L’argent n’est pas un moyen de pression sur moi. Je voulais vendre parce que c’était le moment. 

 

Il y a aussi ce qu’est devenu le secteur. Je ne dirais pas « trop sérieux »… mais un peu quand même.

 

MONSIEUR PHAL

On parle à des gens qui sont là pour l’argent , et c’est normal, mais il y a aussi des tensions entre éditeurs, distributeurs. C’est pénible. Ce n’est pas que c’était mieux avant, les choses changent et ça me convenait moins.

 

Il y a aussi le fait que beaucoup, beaucoup, beaucoup trop de jeux sortent. Il y a une lassitude à apprendre des règles, à jouer avec des gens avec qui tu n’as pas envie de jouer. Le plaisir de jouer devient une contrainte, ce n’est pas rigolo.

 

S’il y a autant de jeux qui sortent, c’est aussi la faute de Trictrac. La rançon du succès…

Tout à fait, on est en cause. Mais je ne critique pas. Ça ne me convient pas, je pars. Mais il y a aussi le fait que j’ai 54 ans. Aujourd’hui, les gens qui jouent ont une trentaine d’années et il ne vont pas se reconnaître dans un « vieux ». Je n’ai pas envie d’être le « vieux », même si je m’intéresse toujours aux nouvelles technologies. J’ai la chance de lancer une chaîne Youtube et que ça marche mais ça va s’arrêter à un moment donné. Donc je préfère arrêter avant que ce soit insupportable pour les autres. J’ai fait ça 20 ans et j’ai envie d’avoir une autre vie.

 

Quels sont vos projets ?

Il y a quatre ou cinq ans, j’ai eu envie de revenir à mes premières amours : le jeu de rôle. On est toujours dans le jeu mais c’est un peu à part. J’ai eu l’idée de filmer des parties de jeu de rôle. Pour différentes raisons, je ne pouvais pas utiliser un jeu du commerce, j’ai donc inventé un jeu de rôle sur un coin de table. Un univers, une mécanique. L’univers et la mécanique ont plu.

 

On a fait cinq ou six saisons que je mettais en ligne sur Youtube et plein de gens m’ont demandé de fournir les éléments pour pouvoir y jouer chez eux. Plein de gens qui n’y connaissaient rien se sont mis au jeu de rôle grâce à ça. Des éditeurs sont venus me demander de l’éditer. J’ai dit non au départ, je ne suis pas auteur de jeux. En fait, je me dis que c’est intéressant car c’est entre ce que je viens de faire dans le jeu de société et l’activité que je veux faire plus tard qui est plus proche de la littérature. Le jeu de rôle, c’est de l’écriture, ça raconte des histoires et c’est aussi du jeu de société. Donc il est probable que la première chose que je vais faire c’est m’atteler à développer ce jeu de rôle. Je ne sais pas s’il va être édité mais je vais bosser là-dessus. 

 

Comment expliquer la longévité de Trictrac, qui, depuis 20 ans, est la vitrine du jeu de société en France ?

Évidemment, il y a les circonstances. Je suis arrivé à un moment où plus rien n’existait pour parler du jeu. Mais il y avait des gens qui bougeaient, qui avaient envie de faire des jeux différement, de se glisser dans les angles morts du secteur, je pense à Asmodée par exemple qui était alors une petite maison d’édition. Moi, j’arrive à ce moment-là : Internet existe, 2000 c’est l’arrivée de l’ADSL. Je vais développer un truc dessus.

 

Avec le Dr Mops, on est arrivé avec notre vision un peu plus « artistique ». On sort des Beaux-Arts tous les deux. Je n’ai pas été diplômé mais j’ai « volé » tout ce que je pouvais là-bas – intellectuellement – pendant trois ans. C’est là que j’ai appris à faire de la vidéo. Donc il y avait les possibilités offertes par Internet, ce secteur du jeu qui était en train de s’industrialiser : on s’est rencontrés tous à ce moment-là et on a bien senti qu’on avait besoin les uns des autres. 

 

Et je savais qu’il fallait quelqu’un pour personnifier, incarner pour que les gens puissent se reconnaître.

 

J’étais conscient que ma tête est un peu spéciale, elle se repère et je sais en jouer. C’était de la matière première gratuite.

 

MONSIEUR PHAL

On a mis ça en avant : d’abord moi, puis les autres joueurs, puis les auteurs. Les gens qui faisaient le secteur. On a tous partagé le succès. Trictrac a aidé tout le monde à exister. Souvent, on me critique sur mon narcissime mais, en vérité, au-delà mon image, on a donné de la visibilité à plein de gens. Bruno Cathala (auteur de Kingdomino, Abyss, etc.) est Bruno Cathala parce qu’on l’a vu dans les vidéos Trictrac. Ce n’est pas seulement grâce à nous. Nous, on a mis en place un système qui fait que sa personnalité intéressante, intelligente, touchante a eu une mise en lumière. Mais s’il n’est pas brillant, il disparaît. Je suis très content de ça. J’ai apporté ma petite pierre, en mettant l’humain au coeur de tout ça. Je me rends compte de l’impact maintenant que je pars avec tous les messages que je reçois. Et ça va au-delà du jeu. Des gens ont décidé de changer de vie en voyant ce qu’on fait : « J’arrête mon boulot de comptable, je veux ouvrir un café jeux » ou « Je veux me lancer dans l’édition ». Je suis heureux de ça. 

 

La plus grande fierté, c’est celle d’avoir contribué à cet élan qui fait qu’aujourd’hui tout le monde, ou presque, joue?

Le mot « fierté », je ne l’utilise jamais. Satisfait me convient mieux. Je suis satisfait d’avoir été utile. À des gens. À un secteur. On a fait en sorte que des gens se mettent à jouer, se sont rendus compte que faire des jeux c’était une production intellectuelle comme la littérature ou le cinéma. Ce n’est pas encore entré dans la tête de tout le monde mais ça viendra. C’est la suite du chemin. 

 

Aujourd’hui, avec les blogs, les chaînes Youtube, Twitter, Facebook, Trictrac n’est plus la seule porte d’entrée pour l’information ludique. Comment le site se positionne-t-il par rapport à cela ?

Les blogs, il y en a toujours eu plein. Ce n’est pas un problème. Google nous a référencés comme un site d’information dès 2002 ou 2003 et on tombe tout de suite sur nos pages quand on tape le nom d’un jeu. Par contre, les réseaux sociaux ont changé pas mal de choses. Ils ont permis aux éditeurs de communiquer directement, sans passer par nous. Évidemment, ça a changé la donne mais pas tant que ça. Les gens ne peuvent pas s’abonner à tout et, à un moment ou un autre, ils reviennent chez nous.

 

Quant aux pages Facebook, je pense qu’elles vont subir le même sort que les newsgroups, il y a 20 ans. C’est utile, très pratique, super. Et puis, à un moment, ça devient inaudible. Sur les pages Facebook, on se retrouve avec des gens qui postent la photo d’un jeu en disant : « J’ai acheté ça, est-ce que c’est bien ? » C’est à dire que tu ne fournis même plus l’effort d’ouvrir la boîte, de lire la règle… Quand ce sont des fils comme ça, tu ne peux plus rien suivre. Il n’y a plus d’informations. Du coup, ça donne de la valeur aux influenceurs.

 

Tant qu’on réfléchit, qu’on se repositionne, cette concurrence ne pose pas de problème. Cela demande à réinventer des formats. Parce que Facebook, Youtube changent la manière dont ton cerveau appréhende l’info. On sait aujourd’hui qu’on ne va plus faire de vidéo de 40 minutes donc l’astuce consiste à la découper intelligemment.

 

Concernant les joueurs et les jeux, quelles sont les grandes transformations qui se sont opérées ces 20 dernières années ?

J’ai le sentiment que le joueur s’est transformé en consommateur et là aussi c’est la faute de Trictrac. Parce qu’on a accompagné un secteur qui proposait de plus en plus de choses et pour que ces choses touchent les joueurs, les éditeurs les ont rendues de plus en plus belles, attrayantes. Nous, on s’est fait le miroir de ces choses excitantes. Les gens se sont mis à acheter. Et cette frénésie de consommation a produit un changement sur la manière de concevoir les jeux. Avant, on achetait un jeu, on y jouait pendant trois heures. Mais si tu achètes ce jeu-là, ce jeu-là et ce jeu-là, mieux vaut faire trois jeux d’une heure qu’un jeu de trois heures. Tout ça a réduit la durée des jeux, transformé des jeux identiques en jeux différents à quelques détails près, ce qui oblige à apprendre des règles supplémentaires.

 

En jouant à de plus en plus de jeux, les gens n’approfondissent plus les mécaniques, ne cherchent plus la meilleure stratégie.

 

MONSIEUR PHAL 

 

Au bout de deux parties, ils veulent jouer à autre chose. Pour les éditeurs, c’est bien : on achète, on achète. Pour l’industrie et l’économie, c’est bien. Pour la planète, je ne sais pas si c’est bien car ce sont souvent des bateaux qui arrivent de Chine.

 

Le public s’élargissant, on a eu besoin de jeux plus funs, plus rapides. Ce n’est pas un mal mais ça a vraiment changé le secteur. Et moi, je ne m’y reconnais plus. Beaucoup de gens se rendent compte que la course à la nouveauté, c’est usant. Des gens intelligents dans le milieu s’en rendent compte, disent « attention », et sont en train de faire en sorte que moins de jeux soient disponibles. On est à un moment charnière. 

 

Quand plus d’un millier de jeux sortent par an, comment faire pour donner du temps d’exposition à chacun ?

On ne peut plus. Ou alors il faudrait être 50 ici, à Trictrac. Mais c’est aussi difficile que de donner du temps d’exposition à tous les romans de la rentrée littéraire. C’est de la folie. Les gens à la tête de ce secteur sont conscients de ça. 

 

Quels sont, pour vous, les jeux emblématiques qui ont accompagné l’histoire de Trictrac ?

Il y a un premier marqueur, c’est Catane, en 1995, qui a initié beaucoup de joueurs aux jeux modernes. Autour de 2000, au lancement de Trictrac, on a eu Les Loups-garous de Thiercelieux et Jungle Speed, avec des auteurs français qui sont tout de suite venus à notre contact et qui avaient le même état d’esprit que nous. C’est un point de bascule important pour comprendre ce que le jeu moderne est devenu.

 

Après, il y les Aventuriers du Rail en 2005 et Dixit, en 2009, qui sont de très gros succès populaires. Et puis en 2015, Time Stories qui a été un jeu charnière parce qu’il a été un des premiers jeux à usage unique : on joue le scénario et c’est fini. C’est l’arrivée de la narration dans le jeu de société. Et c’est en jouant en proto que je me suis dit :  » Le jeu de rôle, ça me manque trop ». C’est là que je me suis dit que je voulais arrêter Trictrac et raconter des histoires.

Propos recueillis par Alexandre Charrier source la république du centre.